Guernesey
Hauteville House, maison de Victor Hugo en exil à Guernesey.
Il y reçoit un accueil respectueux mais méfiant.
Le 9 novembre 1854, il passe sa première nuit à Hauteville House, qu’il achète en mai de l’année suivante grâce aux énormes ventes des Contemplations.
Plus tard, il acquiert également une maison où Juliette Drouet aménage en juin 1864.
Hugo reçoit quelques visiteurs du continent, tel Boucher de Perthes en 1860.
Le fondateur de la science préhistorique le décrit alors comme un « républicain gentilhomme […], fort bien installé, vivant en père de famille […], aimé de ses voisins et considéré des habitants ».
Ces années difficiles sont très fécondes.
Il publiera notamment Les Châtiments (1853), œuvre en vers qui prend pour cible le Second Empire ; Les Contemplations, poésies (1856) ; La Légende des siècles (1859), ainsi que Les Misérables, roman (1862). Il rend hommage au peuple de Guernesey dans son roman Les Travailleurs de la mer (1866).
Les hostilités entre proscrits et autorités françaises se calment.
La France signataire d’un traité de paix avec la Russie, la dynastie assurée d’un héritier avec la naissance d’un fils ; le régime installé plus fermement, tout cela peut expliquer que la vindicte de l’Empereur à l’égard des bannis se fasse plus discrète.
Victor Hugo s’exprime peu.
Il se consacre à son œuvre et sa production est prolifique.
Il remercie de leur soutien les organisateurs anglais du meeting de Newcastle en novembre 1855 , engage les Italiens à se défier de la royauté en mai 1856, et les Grecs à poursuivre la lutte pour le respect de leur identité en août.
Aucune intervention en 1857, 1858.
Même l’attentat d’Orsini du 14 janvier 1858, dans lequel un faux grossier tente pourtant de l’impliquer, ne suscite pas de commentaires, y compris dans son journal.
En avril 1859, la France entre en guerre aux côtés du Piémont contre l’Autriche.
Hugo avait souhaité une Italie libérée mais il n’exprime pas de réaction devant une entreprise menée par un despote pour chasser d’Italie un autre despote.
En août, il réaffirme son refus de l’amnistie accordée aux proscrits, fidèle en cela aux vers de 1852 dans Ultima Verba : « Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là », ou « Je resterai proscrit, voulant rester debout94»; il rédige également une lettre ouverte aux citoyens des Etats-Unis pour leur demander de renoncer à l’exécution d’un anti-esclavagiste blanc dénommé John Brown.
Avec les succès de l’Empereur contre l’Autriche, sa politique de soutien au nationalisme italien, les critiques de la presse française contre la répression de la révolte des Cipayes en Inde, l’acquisition de la Savoie et de Nice, les autorités britanniques voient Napoléon III d’un œil de plus en plus méfiant et ses opposants avec moins de sévérité.
Aussi ne s’opposent-elles pas, en juin 1860, à ce que Hugo revienne à Jersey à la demande de ses habitants, afin d’aider à lever une souscription en soutien à Garibaldi.
Il tient un discours qui a un énorme retentissement : « Que le moujik, que le fellah, que le prolétaire, que le paria, que le nègre vendu, que le blanc opprimé, que tous espèrent ; les chaînes sont un réseau ; [...] une rompue, la maille se défait.96 »
IL répond en outre aux remerciements d’un journaliste noir, dans le sillage de l’affaire John Brown, en affirmant sa foi dans la fin de l’esclavage et l’égalité à venir des blancs et des noirs.
En novembre 1861, le sac du Palais d’Eté à Pékin lui inspire une réprobation sans ambages : « Nous Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. »
Au printemps 1862, les Misérables paraissent en France.
Hugo craint que l’ouvrage ne soit saisi.
Il n’en est rien, mais le livre est soit passé sous silence, soit éreinté par la presse officielle.
En mars, il organise le premier repas qu’il offre à des enfants pauvres, qui de huit passeront à quarante.
Au cours de l’année 1862, il intervient à plusieurs reprises, notamment contre la peine de mort. Il travaille à son Shakespeare.
En février 1863, il lance un appel aux soldats russes pour les enjoindre de ne pas écraser le soulèvement polonais ; en mars, nouveaux plaidoyers contre la peine capitale ; lettre aux « hommes de Puebla », résistants mexicains assiégés par l’armée française : la vraie France n’est pas celle d’un despote qui a entrepris de placer à la tête du Mexique un autre despote. Son esprit a surtout été occupé par le travail préparatoire pour Quatre vingt-treize la rédaction de William Shakespeare, achevée en décembre.
En avril 1864, se tient à Paris un banquet en commémoration du 300ème anniversaire de la naissance de Shakespeare.
La présidence est décernée à Hugo, même s’il est évident qu’il ne pourra en occuper le fauteuil.
Les autorité interdisent néanmoins la cérémonie. Juin : il entame l’écriture des Travailleurs de la mer ; novembre : il retourne à Guernesey après quelque onze mois de voyage.
Lors de l’année 1865, il profite de plusieurs événements officiels pour écrire son refus de la peine de mort, de l’oppression des peuples et de la guerre.
En avril, il a terminé Les Travailleurs de la mer.
Le 1er juillet, il arrive à Bruxelles, où il voit Baudelaire à plusieurs reprises et dîne avec lui.
Une partie de la presse belge l’accuse de d’appuyer les critiques des réfugiés français hostiles au régime napoléonien ; en octobre paraissent les Chansons des rues et des bois.
1866 le voit poursuivre épisodiquement les mêmes combats ; il écrit L’Homme qui rit et une introduction à Paris-Guide.
Il reçoit, selon ses propres dires, 300 à 400 visiteurs par an.
En juin 1867, il demande la grâce de Maximilien 1er, mais la lettre arrive trop tard.
Le même mois, la reprise d’Hernani attire des milliers de spectateurs, ce qui en fait le plus gros succès de l’année ; il se réjouit de l’abolition de la peine de mort par le Portugal et se désole dans un long poème publié en novembre de la défaite de Garibaldi devant « la papauté féroce » et les troupes envoyées par Napoléon III, alias « le fils du Judas biblique ».
En décembre, le gouvernement français interdit Ruy Blas de représentation.
1868 est une année de tristesse pour Hugo dont le petit-fils en avril, puis l’épouse en août décèdent à Bruxelles.
Il ne se manifeste guère : il envoie sa souscription à l’érection d’une statue en l’honneur du médecin et homme politique Alphonse Baudin, tué sur une barricade en tentant de s’opposer au coup d’état ; son intervention la plus notable est peut-être son exhortation à l’Espagne pour l’établissement d’une république.
Il accueille également pendant plusieurs mois Henri Rochefort sous le coup d’une forte amende et d’une peine de prison. il écrit son soutien à plusieurs journaux condamnés.
En 1869, ses fils et quelques autres fondent un journal qui portera la voix des opposants au régime.
Hugo en trouve le titre : Le Rappel ; il suit avec passion les élections législatives de mai auxquelles se présente Rochefort ; il envoie des textes à des journaux frappés d’amendes afin qu’ils puissent augmenter leurs ventes ; il apporte sa souscription en aide aux mineurs grévistes victimes de la répression ; il accepte la présidence du troisième congrès pour la paix et la liberté qui se tient à Lausanne en septembre 1869.
A la suite des élections législatives, Napoléon III décide qu’il ne convoquera pas les Chambres législatives, ce qui provoque dans la population un mécontentement explosif.
Beaucoup pensent que par sa stature Hugo est appelé à jouer un rôle fondamental.
Le 12 octobre le journal libéral Le Siècle, sous la plume de Louis Jourdan, publie un article qui frappe les esprits dès les premières phrases : « En ce moment, deux hommes placés aux pôles extrêmes du monde politique encourent la plus lourde responsabilité que puisse porter une conscience humaine.
L’un d’eux est assis sur le trône, c’est Napoléon III ; l’autre, c’est Victor Hugo. »
Pour autant, ce dernier se refuse à toute idée d’insurrection et se prononce même contre une manifestation que son fils Charles souhaite voir se dérouler dans les rues de Paris : Hugo pense que sans le soutien de la gauche, elle se heurtera à un échec.
Bien sûr, il n'accorde aucun intérêt à la nouvelle amnistie accordée par Napoléon III en août 1869.
Quand Napoléon III lance un plébiscite sur la libéralisation du régime, en mai 1870, Hugo manifeste son opposition car il ne voit là qu’un trompe-l’œil, et que la seule voie acceptable est la chute du régime honni, ce qui lui vaut une citation à comparaitre pour incitation au mépris et la haine du pouvoir impérial.
Lorsque la guerre franco-prussienne est déclarée, Hugo croit « à l'écrasement de la Prusse » .
Dans le climat délétère qui règne alors, les autorités françaises font courir le bruit que Hugo appuie une tentative d’assassinat contre Napoléon, puis qu’il est coupable de collusion avec l’ennemi.
Une fois la défaite consommée, il obtient un passeport le 20 août.
Un télégramme crypté d’Emile Allix (« Amenez immédiatement les enfants ») l’informe qu’il lui désormais possible de rentrer à Paris sans danger.
Le 5 septembre, il passe la frontière à 16h00 et arrive à 21h00 gare du Nord. Il est fêté tout le long du retour .